Edmonde Beauzile : femme de trois législatures !



Les 45e, 48e et 49e législatures auront connu la bravoure et la sage vigueur de cette femme habituée aux grands risques et aux grandes victoires. Edmonde Beauzile ancienne, députée du Panpra (Parti nationaliste progressiste révolutionnaire haïtien) en 1991, boucle aujourd’hui au Sénat un mandat de six ans qui l’a mise à cheval sur deux législatures. Et comme si son étonnante carrière de femme politique ne suffisait pas encore à son honneur, Mme Beauzile vient de gagner haut la main les élections internes de la Fusion, transformées en une acclamation qui la fait devenir présidente de ce parti social-démocrate




Spécialiste en éducation, Edmonde Beauzile détient une maîtrise de l’université de Montréal qu’elle a acquise dans un contexte bien particulier. En 1992, quand elle a obtenu cette bourse d’étude, des professeurs canadiens sont venus en Haïti pour commencer les cours avec les boursiers. Edmonde a pu donc extraordinairement jongler entre des statuts qui allaient difficilement de pair : étudiante en droit et en sciences de l’éducation, députée en fonction et femme enceinte. En même temps ! Elle était donc enceinte en étant députée du bloc minoritaire dans un contexte post-coup d’État, marqué par des attaques et intimidations de toutes sortes dirigées contre des parlementaires.

La 45e législature : la porte du danger
La 45e législature était une législature toute particulière où des parlementaires ont souvent été battus par des militants massés aux abords du palais législatif. Edmonde Beauzile se souvient de cette bastonnade reçue par son collègue député, Josué Lafrance, à l’entrée du Parlement qu’elle venait tout juste de laisser. Elle se souvient aussi de cette houleuse séance où ils devaient statuer sur le choix d’un Premier ministre pendant l’exil du président Jean-Bertrand Aristide. Il était question de permettre qu’un chef du gouvernement prenne la direction du pays en gardant à son poste le président exilé. Des militants du Fraph ont alors manifesté et la députée Beauzile a dû changer de vêtements pour laisser le Parlement en se faufilant dans la foule. « Avant de sortir, j’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu un activiste pointer son arme sur la tête du député Delpé, qui était comme moi du bloc minoritaire », raconte Mme Beauzile écœurée par ses noirs moments de notre histoire.

D’autres souvenirs sombres retenus de son expérience à la 45e est cette séance d’interpellation du Premier ministre René Préval pendant les sept premiers mois du président Jean-Bertrand Aristide arrivé au pouvoir après les élections du 16 décembre 1990. « En laissant ma maison, j’ai dit un dernier au revoir à mon mari, puisqu’il était bruit que des militants allaient tuer les parlementaires hostiles au gouvernement. » La députée de Belladère a dû braver ce danger et rester solidaire de ses collègues du fameux Groupe des dix formant le bloc socialiste mené par le député Duly Brutus du Limbé.



Edmonde Beauzile reconnaît cependant qu’en dépit des points sombres, la 45e législature l’a fait mûrir politiquement. « Je me souviens avoir reçu un coup de poing au sein gauche de la part de mon collègue Remain Emmanuel qui soutenait les actions de l’armée pendant l’embargo », se souvient l’ancienne députée. Elle se félicite toutefois que cette législature ait pu voter la loi créant la Police nationale en 1994 avant de statuer sur la loi électorale pour les élections de 1995. Elle est donc sortie vivante de cette chambre basse aux couleurs de sang et aux parvis intimidants.

Retour à l’éducation, en route vers le Sénat
À l’expiration de son mandat de députée, Edmonde Beauzile qui était déjà membre du directoire du Panpra a réorganisé ses forces pour participer aux prochaines élections. « Mais c’était plutôt une sélection faite à volonté par l’Organisation politique lavalas. Ils ont choisi eux-mêmes les élus et pour Pranpra ils ont voulu négocier avec nous pour garder deux candidats, dont moi-même, mais nous avons refusé », nous raconte cette femme soupirant après l’avènement d’une vraie démocratie en Haïti. Elle n’était donc pas réélue pour la 46e législature.



Edmonde Beauzile reprend alors sa vie de spécialiste en éducation. Pendant trois ans, elle travaille dans l’Artibonite comme responsable de programme pour une organisation française. Elle se met ensuite au service de l’Unicef pour encore trois ans avant de trouver contrat avec l’Agence canadienne pour le développement international (ACDI). Elle devient coordinatrice de la Commission épiscopale pour l’éducation catholique, et c’était son dernier poste dans ce domaine. Elle passe donc au total neuf ans en dehors du monde politique, mais est restée très proche du secteur éducatif haïtien.

À partir de 2002, Edmonde Beauzile reprend sa place au sein du Panpra. Plusieurs partis de même tendance cherchaient alors à se liguer pour former une grande plateforme qui réunirait tous ceux qui sont de tendance social-démocrate. Six partis ont entamé entre eux une série de dialogues : Conacom, Panpra, Ayiti Kapab, Génération 2004, Kid et OPL. En cours de route, trois partis ont laissé la table de discussions et trois autres sont restés pour former la « Fusion des sociaux-démocrates » : Conacom, Panpra, Ayiti Kapab.



Le 22 avril 2005, c’était la rencontre de dissolution de ces trois partis et du 23 au 25 avril la Fusion a tenu son premier grand congrès. Aux élections générales de 2006, ce nouveau parti propose trois candidats au Sénat pour le département du Centre, un seul est élu : Edmonde Beauzile. L’ancienne députée fait alors son entrée au Grand Corps après une campagne électorale « paisible et sereine », pour répéter ses propres mots. Elle salue l’intégrité de ce Conseil électoral provisoire ayant organisé les élections de 2006.

La 48e législature : nouveau champ de bataille
Charriant sa longue expérience dans l’activité parlementaire, la sénatrice Beauzile se distingue immédiatement au sein de ce corps où son parti et ses alliés étaient minoritaires. Vice-présidente du bureau du Sénat et vice-présidente de la commission Éducation, elle a proposé la loi-cadre sur le système éducatif haïtien. Sur ce point, elle salue les efforts de son collègue Yvon Bussereth qui, président de la commission Éducation, a largement aidé à l’élaboration de ce document, fruit de quatre forums départementaux sur l’éducation.

« Nous avons fait une compilation de tous les arrêtés relatifs au secteur éducatif haïtien de 1801 à 2007 », explique la sénatrice, déplorant l’anarchie qui caractérise trop souvent le fonctionnement des écoles en Haïti. Aucune loi ne fixe clairement les règles du jeu en ce qui a trait aussi système éducatif. Ainsi les programmes scolaires, les changements de systèmes, etc., ne dépendent que des caprices de chaque nouveau ministre. L’expérience du fondamental piétine encore aujourd’hui. Les examens de 9e année fondamentale qui devaient couronner ce cycle tardent encore à prendre la dimension souhaitée par ses initiateurs. Certains parlent de 4e secondaire, d’autres de 9e année fondamentale, pour se référer tous à une même classe. La sénatrice pense qu’il est urgent d’adopter une loi pour mettre fin à ce tohu-bohu, au moment où l’on initie en plus un « nouveau secondaire » ou « le secondaire » tout simplement. « S’il n’y a aucune obligation légale, chaque nouveau ministre de l’Éducation peut proposer sa nouvelle vision », prévient la sénatrice qui regrette que cette loi soit encore dans l’impasse.



Une commission présidentielle pour l’éducation avait été créée par le président René Préval. Cette commission a dit constater des lacunes dans la loi sur l’éducation et a proposé un nouveau document. À en croire Mme Beauzile, à la demande de ces consultants, la loi vient d’être revue et les recommandations de la commission présidentielle seront prises en compte. « J’ai parlé au président du Sénat, Rodolphe Joazile, qui m’a assurée que, à l’ouverture de la nouvelle session en janvier 2012, cette loi sera incluse dans l’agenda législatif », nous confie la sénatrice.

Motivée par son expérience à la 48e législature, la sénatrice du Centre croit important de sonner le glas du respect de la dignité de la fonction parlementaire. Les députés et sénateurs peuvent certes agir comme agents de développement, mais la sénatrice voit mal que des parlementaires puissent recevoir directement de l’argent pour exécuter des projets. Après les quatre cyclones de 2008, Edmonde Beauzile a dirigé la commission ayant accouché de la Loi d’urgence. « J’ai déploré par la suite que de l’argent ait été distribué aux parlementaires pour des actions dans leurs zones respectives et j’ai écrit en ce sens au ministre de l’Intérieur. »

La présidence de la Fusion : un grand pari !
Le mandat de six ans obtenu par la sénatrice en 2006 dure encore aujourd’hui. Edmonde Beauzile est devenue la troisième sénatrice du Centre et est candidate à sa succession aux prochaines élections. Elle est une femme habituée aux grandes victoires. Pour l’année 2011, elle a remporté des palmes que l’on ne pouvait espérer pour une femme. Les élections internes qui ont finalement été organisées au sein de la Fusion des sociaux-démocrates ont dû attendre quatre ans. Prévues depuis 2007, elles avaient à chaque fois été reculées en raison des luttes intestines, mais pendant toute cette période Mme Beauzile n’a cessé de mener campagne.

Quatre candidats convoitaient le fauteuil présidentiel de la Fusion : le Dr Ariel Henry, Sorel Jacinthe, Rosemond Pradel et Edmonde Supplice Beauzile. À l’avènement du parti Inite, deux des quatre ont laissé les rangs de la Fusion, et il ne restait que M. Pradel et Mme Beauzile. La mort du professeur Micha Gaillard lors du séisme du 12 janvier 2010 a grandement affecté le parti. Le défunt était candidat au poste de secrétaire général. Rosemond Pradel a alors renoncé à la présidence du parti pour convoiter désormais le secrétariat général. Edmonde Beauzile est alors restée comme l’unique candidate à la présidence de la Fusion. Affrontant le congrès qui pouvait quand même la rejeter bien qu’elle soit candidate unique, elle a été acclamée.

« Ce combat au sein de la Fusion m’a permis d’être plus consciente des obstacles jonchant le parcours d’une femme politique. On rencontre d’étonnantes hostilités basées sur le sexe, même dans un parti social-démocrate », témoigne l’actuelle présidente.

Vers la 50e en passant par la 49e ?
Se refusant à parler des dernières déclarations faites dans la presse par le coordonateur de l’Organisation du peuple en lutte (OPL), Sauveur Pierre Etienne, la sénatrice rappelle que la Fusion et l’OPL font partie d’une même plateforme : l’Alternative. Les mésententes entre les partis ne peuvent être réglées sur la place publique, dit-elle, en déplorant que la presse ait été le premier recours de M. Pierre Etienne.

« Je ne le connais pas, je ne l’ai rencontré que cinq fois dans ma vie, quatre fois dans des réunions et une fois au congrès de la Fusion où j’ai été élue », précise Mme Beauzile. Il ne peut donc exister, à son avis, aucun problème personnel entre elle et le coordonnateur de l’OPL, encore moins entre les deux partis. « La fusion et l’OPL sont deux partis granmoun, qui sont liés par l’Alternative et qui vont rester soudés », conclut la sénatrice.

Le 25 décembre dernier, Edmonde Beauzile a bouclé son troisième mois à la tête de la Fusion. Elle se félicite d’être jusqu’ici restée dans la droite ligne des objectifs fixés par le parti. Cette femme, mariée et mère de trois enfants, veut continuer à trouver la formule pour être à la fois leader politique, mère de famille et surtout sénatrice en fonction. Oui, sénatrice en fonction ! Car Mme Beauzile croit déjà qu’elle va remporter les prochaines sénatoriales pour le département du Centre. « Je suis toujours en campagne et je vais gagner », nous lance, souriante, l’unique sénatrice du Grand Corps. Vers la 50e législature en passant par la 49e, Mme Beauzile prend déjà son bâton de pèlerine. Encadré Nom : Edmonde Supplice Beauzile Naissance : 14 octobre 1961 Statut : Mariée, mère de trois enfants Signe astrologique : Balance Religion : Catholique

Eddy Laguerre
edgu85@yahoo.fr

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